Conseil de la Métropole du 13 mai 2019

Intervention de Bruno Charles

N° 2019-3489 – Approbation du schéma directeur des énergies (SDE), vers une stratégie énergétique métropolitaine à l’horizon 2030

Monsieur le Président, cher-e-s collègues,

S’il fallait une démonstration du caractère insoutenable de la politique énergétique française actuelle, l’actualité de ces derniers jours nous le rappelle :

  • Au Sahel, l’armée française intervient pour combattre les groupes terroristes et mettre fin aux prises d’otages. Mais que fait-elle en réalité, sinon protéger les intérêts énergétiques de la France, notamment les mines d’uranium au Niger et les ressources du sous-sol du Burkina Faso, du Mali ou encore de la Centrafrique ?
  • Au Moyen-Orient, la France persiste à vendre des armes à l’un des pires régimes de la planète l’Arabie Saoudite, des armes qui massacrent des civils au Yémen. Le président de la République, selon ses propres mots, « assume » ces ventes d’armes. Pourquoi, sinon pour sécuriser notre approvisionnement en pétrole ?
  • Concernant le gaz, je n’insisterai pas sur notre dépendance vis à vis de l’Algérie et de la Russie, ces deux grandes démocraties …

Bref, nos consommations énergétiques sont à l’origine d’une « realpolitik » contraire aux principes d’une démocratie des droits de l’homme et nous faisons l’autruche.

Si notre politique énergétique est un désastre moral, elle est aussi un désastre écologique : le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a affirmé avant-hier que le combat contre le bouleversement climatique « n’est pas en bonne voie ». Les objectifs de la COP 21 à Paris, limiter le réchauffement climatique à 2° et si possible 1,5°, ne sont pas en mesure d’être tenus.

Elle est enfin un désastre social, puisque selon l’observatoire national de la précarité énergétique, 15 % des ménages français ne peuvent pas se chauffer correctement et ont froid l’hiver. Le diagnostic du schéma directeur des énergies qui nous est soumis aujourd’hui recoupe ce chiffre.

Le débat sur la politique énergétique est en réalité un débat sur la société que nous voulons voir advenir. Au contraire des présidents américains George Bush et Donald Trump, nous ne pensons pas que nos modes de vie ne soient pas négociables et au contraire nous voulons créer d’urgence les conditions de sortie du développement insoutenable qui est le nôtre.

À ce titre, le travail qui nous est soumis aujourd’hui est un travail fondateur. Nous voulons remercier les services qui ont réalisé un travail énorme et d’une qualité exceptionnelle et les élu-e-s qui l’ont piloté, notamment Hélène Geoffroy puis Roland Crimier.

Il est fondateur, parce que pour la première fois, une agglomération française se donne les moyens d’une transition réelle en modélisant tous les flux énergétiques qui la traversent et les usages qui y sont associés. Et modélise également l’impact de toutes nos politiques publiques sur les consommations énergétiques. Nous approuvons ce choix méthodologique de partir de nos politiques réelles, par exemple, dans le domaine des transports, des chiffres du PDU1, plutôt qu’essayer de dessiner une trajectoire idéale mais irréaliste, comme d’autres villes l’ont fait. « Aller vers l’idéal en tenant compte du réel », cela devrait rappeler des choses à quelques-uns de nos collègues…

Nous en tirons une première leçon : aucune énergie renouvelable ne suffira pour se substituer à la consommation d’énergies fossiles au niveau actuel. Nos priorités doivent donc être la sobriété et l’efficacité énergétique.

Nous devons donc amplifier la politique d’éco-rénovation des logements et de développement des modes de déplacement actifs en substitution de l’automobile. C’est aussi une politique de lutte contre la précarité, puisque la facture énergétique moyenne des ménages dans notre agglomération est de 1570 € par logement et par an, soit un mois de salaire, voire plus pour une grande partie de nos concitoyen-ne-s. Rappelons qu’une rénovation BBC2 divise en moyenne cette facture par un facteur trois. Nous nous félicitons donc des décisions récentes d’augmenter les sommes dédiées à la réhabilitation thermique des logements et nous savons qu’il faudrait consacrer environ 30 millions d’euros par an dans la prochaine mandature pour atteindre les objectifs du schéma directeur.

Mener une politique de sobriété énergétique implique également que nos politiques soient cohérentes entre elles. Dans le domaine des transports, nous ne pouvons diminuer la consommation énergétique et augmenter la voirie dédiée à l’automobile individuelle. Autrement dit, il faut choisir entre les objectifs énergétiques et climat d’une part et le périphérique automobile pompeusement appelé Anneau des sciences.

Cela signifie également que si nous voulons aller vers la neutralité carbone à l’horizon 2050, il faudra renforcer fortement les objectifs du PDU concernant la limitation du trafic automobile en ville.

Dans le domaine de la production d’énergies renouvelables et locales, notons un chiffre : puisque la facture énergétique de l’agglomération est d’environ 3 milliards d’euros par an, chaque fois que nous relocalisons 1 % de la production énergétique, c’est 30 millions d’euros qui reviennent sur notre territoire. Et ces 30 millions d’euros par an impliquent un investissement de cinq à six fois plus important ! C’est donc économiquement une très bonne affaire.

Si quelques-uns de nos collègues ont un doute sur notre capacité à équilibrer la demande et l’offre d’énergie à tout moment dans les réseaux à partir d’énergies renouvelables, nous vous renvoyons au scénario Négawatt, qui montre que c’est tout à fait possible, à partir des techniques existantes, sans attendre une éventuelle rupture technologique.

Alors nous devons faire « feu de tout bois », si vous me passez l’expression. Nous approuvons l’objectif de multiplication par 10 du photovoltaïque, mais nous pensons qu’en réalité nous pouvons aller bien au-delà, d’autant que les prix du photovoltaïque ne cessent de baisser.

Nous avons déjà eu l’occasion d’approuver le développement des réseaux de chaleur. Dans ce domaine comme dans celui l’approvisionnement alimentaire, nous devons penser à une échelle plus grande que la Métropole. Nous devons réfléchir à une contractualisation avec les territoires voisins, qui sont demandeurs, pour que la consommation des habitant-e-s de la Métropole serve à développer l’activité chez nos voisins les plus proches plutôt que de l’autre côté du monde.

Nous approuvons enfin la volonté d’affirmer le rôle de la Métropole comme autorité organisatrice de la distribution d’électricité et de gaz. Nous devons continuer à nous doter des moyens de contrôle adéquats de l’activité des délégataires. Rappelons que cette absence de contrôle a conduit ENEDIS à provisionner de manière illégale 9 milliards d’euros, qui devraient revenir aux usagers et aux collectivités, mais que l’entreprise demande tout simplement aux collectivités d’oublier.

En conclusion, nous approuvons donc les objectifs qui nous sont proposés, mais nous savons qu’il faudra aller au-delà pour réussir la transition énergétique qui est nécessaire à la survie de notre agglomération. Nous jugerons et nous serons en réalité jugés à sa mise en œuvre.

Pour aujourd’hui, nous saluons avec enthousiasme la qualité du travail qui nous est présenté et nous voterons bien sûr ce schéma directeur des énergies.

Merci de votre attention.

 

Seul le prononcé fait foi

 

1 Plan de déplacements urbains

2 Bâtiment basse consommation