Conseil de la Métropole du 23 avril 2020

Intervention d’Émeline Baume

N° 2020-4246 – Mesures d’urgence à caractère économique de la Métropole de Lyon en réponse à la crise sanitaire liée au Covid-19

Monsieur le Président, cher.e.s collègues,

Cette crise sanitaire révèle l’intense vulnérabilité de nos sociétés !

Il y a eu « un net retard à l’allumage » du gouvernement face à cette épidémie, comme le montre la triste comédie, ou plutôt le drame, de la pénurie de masques. Ce décalage est le fruit de l’accélération par ce gouvernement de logiques ultralibérales. En effet, il devient évident que les réformes de l’hôpital, des retraites, de l’assurance-chômage ne sont pas tenables. Oui, cette crise sanitaire bouscule tous les vieux discours, dont celui des néolibéraux en guerre contre le service public et les biens communs. Nous savons que sans stratégie cohérente, avec la seule main invisible du marché comme boussole, notre société est incapable d’absorber les chocs et de se transformer démocratiquement. C’est une autre boussole que nous voulons vous proposer.

Pour les écologistes, cette crise sanitaire s’imbrique dans une crise systémique dont nous avons déjà perçu certains effets en 2003 avec le SRAS1, en 2008 avec les spéculations financières et dans le même temps le virus Ebola, puis des incendies à fortes impacts en Australie et en Amazonie cet été…

Comme le rappelait Dominique Bourg sur une radio publique, 75 % des nouvelles maladies ont une origine animale. Or, notre système économique fondé sur la prédation des ressources modifie structurellement nos écosystèmes, en faisant disparaître certains habitats, en uniformisant le vivant avec les OGM2. Tout ceci tend à nous exposer, nous êtres humains, à de véritables risques sanitaires qu’il nous est impossible de prévoir précisément.

Les écologistes interpellent depuis de nombreuses années sur l’urgence à préserver notre biodiversité et les équilibres des écosystèmes qui garantissent notre survie. C’est pourquoi nous avions proposé, à l’instar de nombreuses ONG3, que notre collectivité soit exemplaire et cesse notamment tout soutien aux industries fossiles, par exemple, en ne contractant pas de produits financiers auprès de banques liées à ces industries.

Si nous vivons une crise impactant fortement le quotidien de salarié.e.s et d’entrepreneur.e.s, mettant à mal leur pouvoir d’achat, leurs conditions de vie dignes, mais aussi par ricochet, mettant à mal la redistribution nationale et locale, alors pourquoi ne pas se doter tout de suite d’une nouvelle boussole ? Jusqu’à présent, avec le travail porté par Bruno Charles et ses équipes, une démarche de budget « climat compatible » a été lancée ou dit autrement, autour d’indicateurs de limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Pour amplifier cette logique, notre boussole devrait être celle du « bien-être » pour toutes et tous, comme développé par certain.e.s économistes parmi lesquels Éloi Laurent, en s’accordant sur l’essentiel et en agissant « pour », en nommant l’inutile et en cessant de l’accumuler, en bannissant le nuisible. Concrètement, l’ensemble des décisions de ce jour et des jours suivants pour atténuer les inégalités mais aussi pour réorganiser sous peu nos activités économiques et sociales doivent garantir ce « bien-être », en limitant les vulnérabilités et sans revenir à un fonctionnement biocide. Par conséquent, il ne saurait être question dans « un plan de relance » assurant « le rebond » de nos gaz à effet de serre et des emplois délocalisables, de soutenir des entreprises versant des dividendes et ne respectant pas les politiques publiques locales en faveur de la justice sociale et du climat.

Ce plan d’urgence de soutien aux acteur.rice.s du territoire appelle de la part des écologistes sept commentaires et points de vigilance :

  • Avoir recours à des prêts pour assumer nos aides d’urgence doit être fait auprès d’organismes financiers non biocides. La responsabilité de notre collectivité dès demain est de notre point de vue de favoriser le développement et la création de nouveaux fonds et circuits financiers responsables pour notre territoire à l’instar de la Ville de Paris avec leurs greens bonds ;

  • Soutenir les organisations collectives à but social qui maintiennent le lien avec les plus vulnérables d’entre nous est prioritaire ! Elles doivent pouvoir, avec des fonds publics, trouver des solutions pour les besoins du quotidien et pour un confinement acceptable. À ce sujet, nous considérons que toutes les personnes vivant dans des squats et des campements à Lyon, Vaulx-en-Velin, Villeurbanne sur notre territoire, doivent être mises à l’abri et confinées dans de bonnes conditions. Des hôtels sont disponibles, des bâtiments vacants pourraient être mis à disposition dans le cadre de conventions d’occupation temporaire par des associations. Avec le préfet, la Métropole et les communes doivent s’y engager. C’est ce que nous avons écrit au préfet dans un récent courrier. Nous rappelons que le conseil scientifique Covid-19 a aussi écrit au gouvernement dans son avis du 2 avril que les personnes en grande précarité devaient être confinées dans de bonnes conditions ;

  • Assouplir sous différents aspects les conditions d’obtention du RSA4 est juste et nous nous félicitons de la possibilité de cumul avec une activité dans un secteur prioritaire. Nous en appelons à votre vigilance, Monsieur le Président, pour que ces personnes vulnérables ne soient pas sacrifiées car elles seraient surexposées au risque de contracter le virus ! Cette souplesse ouvre la voie à un revenu contributif ou revenu de base qui permettrait en particulier aux jeunes (apprenti.e.s, lycéen.e.s et étudiant.e.s) de vivre dignement, tout en ayant une activité au service de projets qui font sens pour eux ;

  • Exonérer le loyer pour certain.e.s acteur.rice.s économiques installé.e.s dans des locaux appartenant à la Métropole ou ses « satellites » ou partenaires est un geste positif. Toutefois, cette charge va être aussi conséquente pour les habitant.e.s en situation de chômage partiel ainsi que pour les artisan.e.s, les intermittent.e.s, les étudiant.e.s et structures de l’ESS5 qui paient un loyer à un.e propriétaire privé.e. C’est pourquoi nous devons avoir un état des lieux et agir en coordination avec l’État et nos MDMS6 pour soutenir aussi ces habitant.e.s et acteur.rice.s économiques équitablement ;

  • Concernant le tourisme, flécher des fonds sur notre office du tourisme pour qu’à son tour il soutienne ses adhérent.e.s très temporairement semble utile sur le moment. Toutefois, on peut penser que les touristes internationaux.les ne seront pas au rendez-vous avant début 2021 au mieux. De fait, certaines capacités d’hébergement touristique devraient être converties en logements temporaires pour des situations d’urgences sociales ou pérennes pour étudiant.e.s par exemple ;

  • L’événementiel est au point mort. Décaler les redevances des DSP7 concernées est heureux pour ces groupes qui restent très pourvoyeurs d’emplois. Toutefois, doit-on garder des contrats pour de telles capacités d’accueil (Eurexpo en plus de la salle 3000, la Cité Internationale, etc.) sur notre territoire pour des activités qui n’auront pas lieu comme pour le tourisme avant au mieux cette fin d’année 2020 ?

  • Lutter contre la fracture numérique d’une partie des étudiant.e.s, est-ce suffisant ? Combien d’entre eux.elles ont perdu leur source de revenu et devraient être accompagné.e.s pour passer de la précarité à la dignité alimentaire et d’habitat ? Demain, un RSA jeune semblerait adéquat.

Ce plan d’urgence devrait être accompagné de trois compléments :

  • Notre collectivité doit agir plus auprès des plus vulnérables, c’est sa compétence ! Dans cette urgence qui est la nôtre, envoyons au-delà des mots, un message concret et positif :

    • En créant un fonds d’urgence sociale : pour garantir à toutes et tous des conditions de vie dignes (habitat, alimentation…) malgré un chômage partiel ou une perte totale de revenu. Ce fonds d’urgence sociale devrait s’articuler avec les dernières annonces gouvernementales. En sortie de crise sanitaire, il conviendra d’agir de façon plus active afin de limiter l’augmentation des loyers, une des principales charges des foyers vulnérables ;

    • En participant au versement de primes exceptionnelles de risques à celles et ceux qui agissent auprès de nos aîné.e.s et des personnes en situation de handicap à domicile et en structure d’accueil en réajustant le montant des subventions dues à l’ensemble des associations qui assurent ces services. Nous leur sommes redevables ;

  • Les acteur.rice.s culturel.le.s feront l’objet d’un soutien dédié, vous nous l’avez annoncé. Nous partageons l’objectif d’aider ces acteur.rice.s et proposons que, dans ce cadre, il y ait une réflexion avec les communes, pour une offre d’activité enfance et jeunesse adaptée aux périodes de canicule et au retour des temps scolaires en septembre et que, pour l’année scolaire 2020-2021, la Métropole propose aux collégien.ne.s une offre culturelle inédite pour la pause méridienne et les mercredis et samedis ainsi que les vacances. Il semblerait judicieux que les critères de soutien à venir, au-delà de cette forme de commande publique, soit débattus et partagés lors d’une commission spéciale rapidement ;

  • Enfin, avec cette crise, il convient d’adapter notre espace public aux nouvelles contraintes pour nos déplacements. Nous n’avons que des incertitudes, et pourtant il faut répondre, il faut des solutions, provisoires dont on verra si elles doivent, si elles peuvent se pérenniser. Quid des 1 800 000 déplacements en transports en commun par jour ? À combien seront-ils réduits ? Quelle part aura migré vers la voiture individuelle ? Quelle proportion aura glissé vers la pratique du vélo, de la trottinette, de la marche à pied ? Comment redonner confiance dans les transports en commun, à quelles conditions ?

Nous savons qu’une augmentation, ne serait-ce que de 10% du trafic automobile en période de pointe, outre les dommages accentués en termes de pollution, aurait pour effet une totale paralysie du trafic.

À la faveur de la sortie progressive du déconfinement, durant au moins tout le mois de mai, va immédiatement se poser la question des transports collectifs qui ne pourront assurer la distanciation physique indispensable. On ne peut parier bien sûr, comme dit précédemment, sur le report massif vers la voiture individuelle.

Une des solutions, que Pierre Hémon a proposée dès le 3 avril dernier, Monsieur le Président, est de réaliser des aménagements cyclables provisoires. Les services sont désormais en mouvement.

Nous souhaitons aussi qu’un travail soit fait avec les communes, dans la continuité des « diagnostics de marchabilité » qui ont été réalisés par les services pour chacune des communes et arrondissements de la Métropole, pour améliorer les espaces dédiés aux piéton.ne.s. Là encore des aménagements temporaires sont nécessaires, en particulier dans les rues commerçantes, où la distanciation physique nécessaire ne permet objectivement pas que sur un trottoir d’un mètre quarante, parfois moins, existe une double file de piéton.ne.s qui se croisent.

Pour conclure, si nous devons assumer une partie de la sécurité sanitaire par défaut de l’État et répondre à l’urgence économique et sociale, suite à la crise sanitaire et au confinement, nous souhaitons que ce soutien momentané de la Métropole de Lyon n’obère néanmoins pas l’avenir, sur des choix structurants, que devra faire notre collectivité dès les élections passées, pour le prochain mandat.

Plus que jamais, le programme écologiste que nous portons est d’une grande acuité pour cette transition écologique, solidaire et démocratique aujourd’hui nécessaire à différentes échelles du territoire.

Nous voterons cette délibération.

Je vous remercie.

Seul le prononcé fait foi

1 Syndrome respiratoire aigu sévère

2 Organismes génétiquement modifiés

3 Organisations non gouvernementales

4 Revenu de solidarité active

5 Économie sociale et solidaire

6 Maisons de la Métropole et des solidarités

7 Délégations de service public